La prévention des violations dans le droit de la CEDH : entre effectivité et efficacité

Christelle Palluel
 Docteure en droit – Université Lyon 2
→ Par le recours à différentes techniques d’interprétation dynamique, la Cour européenne des Droits de l’Homme a peu à peu développé une obligation positive de prévention à la charge des États parties. Donnant plein effet au principe de subsidiarité, il revient aux autorités nationales de prendre toutes les mesures nécessaires afin d’éviter les violations des droits et libertés protégés par la Convention. En cas de défaillance des États, la Cour de Strasbourg ne s’en tient plus uniquement à un constat de violation mais incite les États de manière plus ou moins pressante à procéder à des réformes afin d’éviter la répétition de violations sanctionnées. Dans certains domaines, la Cour européenne use même de la notion de « violation virtuelle » pour engager la responsabilité des États si bien que d’aucuns ont pu y voir l’émergence d’un principe de précaution. L’extension de l’intervention de l’État n’est toutefois pas sans poser la question du risque de surenchère sécuritaire. → By using various approaches of dynamic interpretation, the European Court of Human Rights has gradually developed a positive obligation in preventing violations of the Convention. Giving therefore full effect to the subsidiary principle, it is up to national authorities to bear responsibility for taking necessary measures so as to prevent violations of such rights and liberties protected by the Convention. In case of failure of the Member States, the Strasbourg Court has not only the task to determine a violation but now also strongly encourages governments to implement the necessary reforms in order to prevent a repetition of such violation. In some fields, the European Court has even come to use the notion of “potention violation” so as to hold the Member States responsible for the breaching of the Convention, bringing thus some to see the emergence of a precautionary principle. However, the development of State intervention brings the question of the risk of escalating security measures to the fore.

 

Cet article a fait l’objet d’une publication sur le site correspondant à la formule précédente de Jurisdoctoria. Il était intégré dans le n°13, consacré au thème « Les Violations du droit ».

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Si elles sont directement liées, obligation de prévention et notion de due diligence ne sont toutefois pas strictement équivalentes en ce que la prévention « s’apprécie au regard du comportement attendu de l’État qui consiste en l’adoption d’un ensemble de moyens pour prévenir toute violation des droits garantis et maintenir ainsi effectif un résultat attendu de lui » alors que l’obligation de diligence « s’apprécie au regard d’un ensemble de facteurs qui pris de manière combinée laisse apparaître un comportement fautif de l’État »[9]. Ainsi, l’obligation de prévention impose-t-elle une appréciation ex ante quand celle de diligence s’apprécie ex-post.La prévention est un mot passe-partout, un mot banalisé qui est devenu flou »[1]. Dans le domaine des droits de l’Homme, plusieurs instruments internationaux recourent à ce terme dans leur intitulé à l’instar de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide[2] ou encore de la Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants[3], quand d’autres y font référence dans leurs dispositions[4]. Au niveau des juridictions internationales dédiées à la protection des droits humains, une certaine convergence dans l’interprétation donnée de cette notion apparaît de prime abord. La Cour interaméricaine des droits de l’Homme a établi de manière très explicite cette obligation de prévention qui incombe aux États parties. Dès l’affaire Velasques Rodriguez c. Honduras[5], qui concernait des disparitions forcées, la Cour pose que les États ont l’obligation de prendre l’ensemble des mesures permettant de prévenir les violations des droits de l’Homme. Cette obligation implique qu’ils recourent à « tous les moyens légaux, politiques, administratifs et culturels permettant d’éviter la concrétisation d’une violation des droits devant être garantis »[6]. Le Comité des droits de l’Homme des Nations Unies fait la même interprétation de la notion de prévention dans ses observations n°6 et n°31[7], lesquelles permettent de dégager plusieurs niveaux à l’obligation de prévention. L’obligation de prévention impose en premier lieu aux États de prendre les mesures nécessaires pour prévenir les violations des droits et libertés protégés, que celles-ci soient le fait de l’État ou de particuliers. À ce sujet, le Comité des droits de l’Homme parle de « mesures appropriées » mais aussi « d’exercer la diligence nécessaire ». L’obligation de prévention est en effet intimement liée à celle de diligence ou, pour reprendre la terminologie employée par la Cour internationale de justice, à l’obligation de due diligence. Dans son arrêt du 26 février 2007, la Cour a considéré que la Serbie avait manqué à son obligation de prévention du génocide, non pas parce que le génocide a eu lieu, mais parce qu’elle n’a pris aucune mesure pour en éviter la commission : « Il est clair que l’obligation dont il s’agit – de prévenir le génocide – est une obligation de comportement et non de résultat, en ce sens que l’on ne saurait imposer à un État quelconque l’obligation de parvenir à empêcher, quelles que soient les circonstances, la commission d’un génocide : l’obligation qui s’impose aux États parties est plutôt celle de mettre en œuvre tous les moyens qui sont raisonnablement à leur disposition en vue d’empêcher, dans la mesure du possible, le génocide. La responsabilité d’un État ne saurait être engagée pour la seule raison que le résultat recherché n’a pas été atteint ; elle l’est, en revanche, si l’État a manqué manifestement de mettre en œuvre les mesures de prévention du génocide qui étaient à sa portée, et qui auraient pu contribuer à l’empêcher. En la matière, la notion de due diligence, qui appelle une appréciation in concreto, revêt une importance cruciale[8]. »

En deuxième lieu, l’obligation de prévention implique que l’État mette en place des recours effectifs, et dans certains cas suspensifs, pour permettre aux individus de faire valoir les droits qui leur sont reconnus avant qu’une violation n’intervienne. En troisième lieu, l’obligation de prévention met à la charge des États l’obligation de prévenir la répétition de violations d’ores et déjà identifiées. Il convient donc, en cas de constat de violation, de procéder à une réparation du préjudice subi mais aussi de veiller à ce que cette violation ne se répète pas. Enfin, l’obligation de prévention suppose, dans certaines situations, de prendre des mesures provisoires ou conservatoires afin de prévenir l’atteinte à un droit ou une liberté, de la faire cesser ou encore d’éviter que celle-ci ne perdure dans le temps. Décliner ainsi l’obligation de prévention semble participer d’un même objectif : assurer la jouissance concrète et effective des droits et libertés.

« La notion d’effectivité est omniprésente dans la jurisprudence de la Cour européenne des Droits de l’Homme »[10] qui l’a même érigée en principe[11]. Lors de la signature de la Convention européenne des Droits de l’Homme en 1950, les États parties avaient essentiellement pour obligation de s’abstenir de violer les droits et libertés énoncés par la Convention, il s’agissait donc d’une « obligation de respecter » ou encore «  de s’abstenir ». Toutefois, peu à peu une obligation d’agir s’est développée, laissant apparaître une dichotomie aujourd’hui critiquée[12], qui verrait d’un côté les « obligations négatives », et de l’autre, les « obligations positives ». Ces dernières apparaissent dès l’Affaire linguistique belge[13] mais leur utilisation ne se généralise qu’au milieu des années quatre-vingt-dix. Il faut ainsi attendre la décision Lopez-Ostra du 9 décembre 1994 pour trouver une définition de ce que la Cour entend par obligations positives : « adopter des mesures raisonnables et adéquates pour protéger les droits de l’individu »[14]. La réalisation des droits énoncés par la Convention est donc susceptible de réclamer la mise en œuvre par l’État de mesures positives et pas seulement que celui-ci s’abstienne d’agir. Les États peuvent voir leur responsabilité engagée lorsqu’ils sont restés passifs dans le cadre de leurs missions mais également s’ils se sont abstenus d’intervenir face à des violations des droits de l’Homme commises par des particuliers, la Cour européenne des Droits de l’Homme développant de manière prétorienne une « obligation de protéger ». Ces mesures visent à donner pleine concrétisation et plein effet à la Convention, l’objectif de la Cour étant que les droits garantis par la Convention soient des « droits concrets et effectifs, et non théoriques et illusoires »[15]. Enfin, la Cour a dégagé une nouvelle obligation à la charge des États, « l’obligation de prévenir » les violations des droits et libertés visés dans la Convention. Il ne s’agit plus seulement pour l’État de respecter les droits fondamentaux et de prendre des mesures pour donner plein effet à la Convention européenne mais d’anticiper d’éventuelles violations des droits de l’Homme pour prévenir leur survenue[16].

L’obligation de prévention implique que l’État intervienne avant même qu’une violation de la Convention n’ait lieu. On assiste donc à une réelle évolution de la vision du rôle de l’État dans la protection des droits et libertés fondamentaux. Si, à l’origine, la protection des droits et libertés impliquait généralement que l’État s’abstienne d’agir et qu’il ne se montre nullement interventionniste, il s’agit désormais pour l’État d’intervenir de manière à prévenir les violations. Au nom de la prévention des atteintes aux droits et libertés, on assiste à un renforcement considérable du rôle de l’État. En cela, la prévention des violations est directement liée à l’un des principes fondateurs du mécanisme européen de protection des droits de l’Homme, la subsidiarité. Selon ce principe, « clef de voûte »[17] du mécanisme européen, les autorités nationales sont les mieux placées pour mettre en œuvre les droits et libertés de la Convention, la Cour de Strasbourg ne devant intervenir qu’en second lieu, en cas de défaillance des États car la Cour « ne saurait se substituer aux autorités nationales compétentes, faute de quoi elle perdrait de vue le caractère subsidiaire du mécanisme international de garantie collective instauré par la Convention »[18]. Envisagée ainsi, la notion de subsidiarité renvoie au fait qu’il incombe à chaque État partie d’« assumer sa part de responsabilité pour s’assurer du respect des droits de l’Homme »[19]. Les autorités nationales disposent alors d’une large marge d’appréciation pour prendre les mesures nécessaires à la prévention des violations en vue d’assurer une jouissance effective des droits reconnus. Dans le cadre de cette « subsidiarité-complémentarité »[20], la Cour de Strasbourg n’intervient donc qu’a posteriori pour sanctionner les éventuelles défaillances des États. On pourrait donc avancer que l’obligation de prévention, en mettant en avant le rôle essentiel des autorités nationales, a pour objectif de renforcer l’effectivité de la protection dont bénéficient les justiciables. Toutefois, tous les droits et libertés visés par la Convention européenne des Droits de l’Homme ne semblent pas bénéficier du même impératif de prévention dans la jurisprudence de la Cour. Certaines hypothèses pourraient laisser penser que l’objectif d’effectivité des droits n’est pas le seul visé. Là encore, le principe clé de subsidiarité permet d’éclairer le flou qui règne autour de la notion de prévention. En effet, la Cour n’a pas seulement recours au principe de subsidiarité pour mettre en avant le rôle essentiel qui incombe aux États pour la mise en œuvre de la Convention. Dans une deuxième acception, le principe renvoie au choix du niveau d’intervention le plus adéquat afin d’atteindre la meilleure réalisation d’un objectif. Entendue comme « subsidiarité-efficacité »[21], le principe permet alors à la Cour européenne, dans certaines circonstances, de s’octroyer le rôle d’échelon le plus approprié afin d’imposer ses propres solutions aux États parties pour prévenir la violation des droits et libertés reconnus.

Les différents aspects que recouvre l’obligation de prévention dans la jurisprudence européenne amènent à s’interroger sur le rôle qu’y joue véritablement cette notion et sur les objectifs qu’elle satisfait réellement. Si l’obligation de prévention des violations assure a priori une meilleure protection des individus en imposant aux États de prendre des mesures afin d’éviter les atteintes aux droits fondamentaux, et participe donc, en ce sens, à la jouissance effective des droits et libertés reconnus, il n’en va pas toujours ainsi (I). Dans certaines hypothèses, la Cour de Strasbourg n’a pas recours à l’obligation de prévention alors même que la protection effective des justiciables est en cause. Cela laisse entrevoir que la Cour utilise l’obligation de prévention dans un autre objectif, moins pour renforcer la protection des individus que pour assurer la survie du système européen de sauvegarde des droits de l’Homme, le principe mis en avant ne sera plus alors l’effectivité mais l’efficacité en vue d’assurer la survie du système (II).

I. L’OBLIGATION POSITIVE DE PRÉVENTION DES VIOLATIONS COMME GARANTIE D’EFFECTIVITÉ DES DROITS ET LIBERTÉS

La Cour européenne se fixe pour principal objectif d’assurer l’effectivité des droits et libertés reconnus par la Convention. L’effectivité « renvoie à la question générale du passage du devoir être à l’être ou, en d’autres termes, de l’énoncé de la norme juridique à sa concrétisation ou à sa mise en œuvre dans le monde »[22]. Cet objectif est imparti à la fois aux « États parties et [à] la Cour [qui] partagent la responsabilité de la mise en œuvre effective de la Convention, sur la base du principe fondamental de subsidiarité »[23], celle-ci s’entendant comme « subsidiarité-complémentarité ». C’est alors le rôle essentiel des États dans la prévention des violations qui est mis en avant. Ainsi, la Déclaration de Brighton affirme-t-elle dans sa partie relative à la mise en œuvre de la Convention au niveau national que « [l]a pleine mise en œuvre de la Convention au niveau national suppose que les États parties prennent des mesures effectives pour prévenir les violations »[24]. Il s’agit pour les autorités nationales de prendre des mesures d’ordre législatif, judiciaire, administratif et autres pour prévenir les violations des droits et libertés reconnus par la Convention (1). Toutefois, il apparaît rapidement que tous les droits et libertés ne bénéficient pas du même impératif de prévention laissant envisager une obligation de prévention à géométrie variable (2).

1. Une obligation de comportement positif « multidimensionnelle »[25]

L’obligation positive de prévention est à envisager sous deux aspects : « à la fois comme une “obligation de résultat négatif” mais aussi comme une “obligation de comportement positif” »[26]. L’obligation de résultat négatif signifie que les autorités nationales doivent veiller à ce que la violation des droits et libertés reconnus par la Convention européenne ne se réalise pas. La responsabilité de l’État ne serait donc engagée que si la violation survient. Il s’agirait alors d’une obligation de résultat. Toutefois, l’obligation de prévention est également à envisager sous l’angle d’une obligation de comportement positif. En ce sens, les autorités nationales ont le devoir d’agir à partir du moment où celles-ci ont connaissance, ou devraient avoir connaissance d’un risque de violation. À défaut d’action, ou si les mesures adoptées sont jugées inadéquates ou insuffisantes, leur responsabilité peut être engagée. Cette exigence de prévention apparaît multidimensionnelle : générale et diffuse (a), mais aussi ciblée, notamment en ce qu’elle impose aux autorités nationales d’éviter les violations dans les relations entre particuliers (b).

a. Une obligation de prévention générale et diffuse

L’obligation de prévention découle directement du principe de subsidiarité-complémentarité qui veut que les autorités nationales aient le premier rôle à jouer pour assurer la jouissance effective des droits fondamentaux des personnes sous leur juridiction. Cette obligation renvoie à l’ensemble des mesures adoptées par les États parties afin de prévenir la violation des dispositions de la Convention européenne. Il s’agit de « rendre inoffensifs les vecteurs de violation en se concentrant sur les pratiques administratives et sur le cadre législatif »[27]. Cette neutralisation des risques de violation se joue à plusieurs niveaux.

Une première étape consiste à se doter de mécanismes de vérification de la compatibilité de la législation nationale avec les dispositions de la Convention et la jurisprudence de la Cour afin de prévenir les risques de violation en raison de l’inconventionalité des normes internes. Ainsi le Comité des Ministres du Conseil de l’Europe se dit-il « convaincu que la vérification de la compatibilité des projets de loi, des lois en vigueur et des pratiques administratives avec la Convention est nécessaire afin de contribuer à prévenir des violations des droits de l’Homme »[28]. De même, dans la Déclaration de Brighton, les autorités nationales sont exhortées à « mettre en œuvre des mesures concrètes pour faire en sorte que les politiques et législations respectent pleinement la Convention, y compris en fournissant aux parlements nationaux des informations sur la compatibilité avec la Convention des projets de loi de base proposés par le gouvernement »[29]. Sous cet angle, l’obligation de prévention apparaît relativement diffuse et touche toutes les dispositions de la Convention européenne, l’objectif étant la mise en œuvre pleine et effective de l’ensemble du texte.

Le comportement positif attendu des États consiste également à adopter des textes législatifs ou règlementaires visant à prévenir les violations des droits et libertés reconnus par la Convention, l’adoption d’une législation répondant aux exigences conventionnelles permettant « logiquement d’éviter qu’une violation des droits [ne] puisse se concrétiser »[30]. Là encore, l’obligation se décline pour toutes les dispositions de la Convention. Il peut s’agir de légiférer pour prévenir les violations du droit au respect de la vie privée et familiale[31], par exemple en adoptant les dispositions nécessaires pour prévenir la divulgation par la presse de conversations téléphoniques de nature privée[32] ou en encadrant l’accès à des données médicales confidentielles[33]. Il peut également être question de légiférer afin d’éviter des atteintes au droit à la vie, que ce soit en raison d’un défaut d’accès au système de santé[34] ou dans le cadre de catastrophes naturelles. Dans ce contexte, la Cour rappelle que le fardeau de prévention pesant sur les États ne doit pas être excessif et qu’il « convient de reconnaître encore plus de poids à cette considération dans la sphère des secours aux sinistrés à la suite d’un accident météorologique qui, en tant que tel, échappe au contrôle de l’Homme, que dans celle des activités dangereuses d’origine humaine »[35]. Pour établir la responsabilité de l’État, la Cour de Strasbourg s’attache à « l’imminence d’une telle catastrophe clairement identifiable […] surtout lorsqu’il s’agit d’une calamité récurrente frappant une zone particulière d’habitation ou d’utilisation par l’Homme […]. L’étendue des obligations positives imputables à l’État dans une situation particulière dépend de l’origine de la menace et de la possibilité d’atténuation de tel ou tel risque »[36]. La Cour a conclu à une défaillance de l’État dans des espèces relatives à des coulées de boue[37] ou encore à des chutes d’arbres[38] ou à des inondations[39]. La responsabilité de l’État peut être engagée au titre de l’article 2 même si la catastrophe, naturelle ou due à l’activité humaine, n’a pas occasionné le décès de l’intéressé[40]. Cela démontre bien que l’obligation de prévention ne doit pas être appréhendée seulement comme une obligation de résultat négatif mais bien comme une obligation de comportement positif.

Une autre étape de la prévention consiste à s’attacher aux pratiques administratives. La prévention passe par la formation des agents de l’État pour éviter le risque de violation dans l’exercice de leurs missions, on pense en particulier aux forces de l’ordre, aux agents pénitentiaires ou aux fonctionnaires de justice. Il s’agit, par exemple, de former les agents publics à la prévention des risques de torture ou de traitements inhumains et dégradants que ce soit en garde à vue, en détention ou dans toute opération de maintien de l’ordre. L’usage de la force doit être encadré, les agents de l’État se doivent de prendre toute mesure nécessaire afin d’éviter de faire courir un risque inutile aux personnes placées sous leur juridiction[41]. La force employée doit être strictement proportionnée à la réalisation du but autorisé[42], la préparation et la conduite d’une opération armée menée par les forces de l’ordre doivent donc obéir à un principe de précaution. Dès lors, la responsabilité de l’État peut être engagée lorsque les agents de l’État n’ont pas pris soin, en choisissant les moyens et méthodes à employer pour mener une opération de sécurité contre un groupe d’opposants, d’éviter de provoquer accidentellement la mort de civils ou, à tout le moins, de réduire ce risque[43].

Les autorités nationales ont également l’obligation de prévenir la violation des droits des personnes se trouvant directement entre les mains d’agents de l’État, qu’il s’agisse de personnes gardées à vue, détenues ou bien encore des appelés[44]. La Cour européenne a ainsi dégagé une obligation de prévention du suicide des personnes privées de liberté. Cette obligation impose de légiférer mais également d’adopter les mesures pratiques visant à la mise en œuvre effective de cette protection. Dans l’affaire Keenan[45], la Cour commence par rappeler l’obligation positive de protection du droit à la vie des personnes placées sous leur juridiction qui incombe aux États. Cette obligation implique « le devoir primordial d’assurer le droit à la vie en mettant en place une législation pénale concrète dissuadant de commettre des atteintes contre la personne et s’appuyant sur un mécanisme d’application conçu pour en prévenir, réprimer et sanctionner les violations. Cela peut aussi vouloir dire, dans certaines circonstances, mettre à la charge des autorités l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée » (§89). La Cour rappelle néanmoins qu’il ne s’agit pas d’imposer aux autorités « un fardeau insupportable ou excessif » (§90) au vu des « difficultés pour la police d’exercer ses fonctions dans les sociétés contemporaines » et de « l’imprévisibilité du comportement humain » (§90). La Cour recherche donc si « les autorités savaient ou auraient dû savoir qu’il y avait un risque réel et immédiat que Mark Keenan se suicide et, dans l’affirmative, si elles ont fait tout ce que l’on pouvait raisonnablement attendre d’elles pour prévenir ce risque » (§93). En l’espèce, la Cour estime que les autorités ont adopté les mesures nécessaires face au comportement de l’intéressé, celui-ci ayant reçu des visites quotidiennes de médecins de la prison. La Cour ne retient donc pas la violation de l’article 2. Reprenant le même raisonnement, la Cour conclut en revanche à la violation de l’article 2 de la Convention européenne dans l’affaire Çoşelav [46] dans laquelle, malgré plusieurs tentatives de suicide et des appels à l’aide répétés, la personne n’a pas bénéficié d’un suivi médical adéquat et a fini par se pendre. Les autorités n’ont pas pris les mesures nécessaires pour prévenir le suicide alors même qu’elles avaient connaissance du comportement suicidaire.

Enfin, la prévention consiste à mettre en place un système judiciaire dissuasif, prévention et dissuasion étant intimement liées dans la jurisprudence de la Cour[47]. La prévention consiste alors à promulguer et appliquer une législation pénale visant à punir effectivement l’atteinte aux droits et libertés afin d’entraîner un effet dissuasif et réduire ainsi le risque de violation. Il peut par exemple s’agir d’adopter un arsenal législatif prévoyant une répression adéquate des violences domestiques[48], des viols[49] ou encore de la traite des êtres humains[50].

Création d’un mécanisme étudiant la compatibilité de la législation nationale avec la Convention et la jurisprudence européenne, adoption de lois et règlements visant à prévenir des atteintes aux droits et libertés reconnus ou encore formation des agents publics participent de l’obligation générale de prévention des violations. La promulgation et l’application d’une législation pénale dissuasive contribuent également à la mise en œuvre de l’obligation positive générale de prévention des violations. L’impératif de prévention touche ici toutes les dispositions de la Convention afin de garantir l’effectivité des droits et libertés protégés, le risque de violation est alors « éventuel, voire inexistant, et la prévention s’inscrit dans la durée, en ce sens que l’action préventive est une action à long-terme »[51]. Il appartient aux autorités nationales de choisir les moyens utilisés pour parvenir à cet objectif, la subsidiarité étant envisagée sous l’angle de la complémentarité. Afin d’atteindre pleinement l’objectif d’effectivité, l’obligation de prévention comporte également une dimension de court-terme, elle peut « intervenir en présence d’un risque clair et immédiat de violation, c’est-à-dire juste avant la réalisation d’une violation »[52], l’obligation de prévention ne sera alors plus diffuse mais au contraire clairement ciblée et prendra généralement la forme de mesures visant spécifiquement un ou des individus, fréquemment dans le cadre de relations entre particuliers.

b. Une obligation de prévention ciblée contre les violations entre particuliers

La technique des obligations positives est en lien étroit avec celle de « l’effet horizontal » de la Convention européenne, c’est-à-dire de son application dans les relations entre personnes privées. Ceci est particulièrement vrai en ce qui concerne l’obligation positive de prévention. La responsabilité de l’État peut être engagée s’il n’a pas pris les mesures qui auraient pu éviter qu’un particulier ne porte atteinte à un droit ou une liberté protégé. Ainsi, lorsque l’État a connaissance ou devrait avoir connaissance d’un risque d’atteinte à un droit ou une liberté de la part d’un tiers, se doit-il de prendre toutes les mesures utiles pour éviter la survenue de cette violation. C’est, par exemple, le cas lorsqu’un particulier s’adresse aux autorités pour solliciter leur protection face à une menace plus ou moins précise. L’État se doit de prendre des mesures adéquates pour prévenir le risque de violation.

Dans son arrêt Osman[53], la Cour pose les conditions dans lesquelles la responsabilité de l’État peut être engagée faute d’avoir pris les mesures nécessaires à la prévention d’une violation d’un droit ou d’une liberté entre particuliers. Les requérants sont une mère et son fils qui se plaignent de ce que les autorités n’auraient pas pris la mesure de la menace grave que faisait peser monsieur Paul Paget-Lewis sur leur famille, l’absence de réaction des autorités ayant conduit au meurtre du père de famille. En l’espèce, la Cour conclut à l’absence de violation de l’article 2 en estimant que « les requérants n’ont pas réussi à indiquer, dans le déroulement des événements ayant conduit à la fusillade tragique, le moment décisif à partir duquel on peut considérer que la police savait ou aurait dû savoir que la vie des Osman était réellement et immédiatement menacée par M. Paget-Lewis ». Pour la Cour, « la police doit s’acquitter de ses fonctions d’une manière compatible avec les droits et libertés des individus. Dans les circonstances de l’espèce, elle ne saurait être critiquée pour avoir accordé du poids à la présomption d’innocence, ou n’avoir pas usé de son pouvoir d’arrêter, de perquisitionner et de saisir compte tenu du caractère raisonnable de son point de vue selon lequel le degré de suspicion requis n’étant pas atteint aux moments déterminants, elle ne pouvait pas exercer ces pouvoirs, ou qu’aucune action de sa part n’aurait produit des résultats concrets » (§121). Cette affaire permet à la Cour de définir les critères pour constater une violation de l’article 2 en raison d’un manquement des autorités à leur obligation de prévention : existence d’une menace réelle, immédiate, connue et individualisée face à laquelle aurait manqué une mesure préventive satisfaisante.

Bien qu’elle ait défini des critères précis pour emporter l’obligation de comportement positif de l’État, la Cour, dans certaines affaires, semble se départir de sa grille de lecture et développer une vision extensive de l’obligation de prévention. Les affaires Mastromatteo[54] et Maiorano et autres[55] concernent le contrôle des détenus autorisés à sortir de prison avant le terme de leur peine. La Cour rappelle « l’obligation positive de prendre préventivement des mesures d’ordre pratique pour protéger l’individu dont la vie est menacée par les agissements criminels d’autrui »[56]. Elle précise que « cela ne signifie toutefois pas que l’on puisse déduire de cette disposition une obligation positive d’empêcher toute violence potentielle »[57]. Or, « à la différence de l’affaire Osman où il s’agissait d’évaluer “l’exigence d’une protection rapprochée d’un ou de plusieurs individus identifiables à l’avance comme cibles potentielles d’une action meurtrière”, dans l’affaire Mastromatteo “ce qui est en cause, c’est l’obligation d’assurer une protection générale de la société contre les agissements éventuels d’une ou de plusieurs personnes purgeant une peine d’emprisonnement pour avoir commis des crimes violents et d’en définir l’étendue »»[58] (§ 69). Si dans l’affaire Mastromatteo, la Cour ne retient pas la violation de l’article 2 de la Convention, elle estime par contre que la responsabilité des autorités italiennes est engagée dans l’affaire Maiorano et autres. Examinant de manière très précise les conditions d’octroi d’un régime de semi-liberté, la Cour conclut que les autorités auraient dû faire preuve d’« une plus grande prudence au moment de décider de donner ou non à une personne condamnée pour des crimes violents d’une gravité extrême la possibilité de passer la majeure partie de la journée en dehors du pénitencier et d’entrer en contact avec le monde libre » (§115). Cette obligation de prévention, alors même qu’il n’existe pas de risque clair et immédiat de violation, se retrouve par exemple dans l’affaire Kayak[59] qui témoigne d’une vision très extensive de l’obligation de prévention à la charge des États. La Cour y conclut à la violation de l’article 2 de la Convention car les autorités nationales auraient manqué à leur devoir de surveillance dans l’enceinte d’un établissement scolaire. Or, il apparaît que le jeune homme de 15 ans poignardé par un autre élève, l’a été devant l’établissement et non à l’intérieur, et qu’aucun élément n’aurait pu laisser penser qu’un risque existait. La Cour estime « que le proche des requérants trouva tragiquement la mort à l’issue d’un enchaînement de circonstances fortuites. Rien avant le drame n’aurait permis aux autorités internes, et notamment à l’administration scolaire, de penser que la victime requérait une protection particulière ou que la vie de celle-ci était menacée de manière réelle et immédiate du fait des actes criminels d’autrui. En effet, au moment des faits, aucun élément n’aurait permis d’identifier le proche des requérants comme cible potentielle d’une action meurtrière de E.G » (§56). Pourtant, elle n’en conclut pas moins à une défaillance de l’État, le crime ayant eu lieu à un moment où les élèves auraient dû se trouver sous la surveillance du personnel enseignant. Des opinions de juges jointes à l’arrêt mettent en avant le risque de dérives porté par de telles décisions car « l’obligation de l’État de prendre les mesures préventives nécessaires à la protection de la vie d’une personne contre un danger ou un risque pour la vie ne peut être absolue »[60].

La solution retenue dans l’affaire Kayak pourrait s’expliquer par le fait que la Cour estime que l’obligation positive de prévention des violations est d’autant plus importante lorsque sont en jeu les droits et libertés de personnes dites vulnérables : enfants[61], malades, femmes victimes de violence[62] etc. Si la Cour rappelle systématiquement que l’obligation de prévention doit être interprétée de manière à ne pas imposer aux autorités un fardeau excessif eu égard à l’imprévisibilité du comportement humain et à la nécessité de faire des choix quant à l’utilisation des ressources budgétaires, elle adapte cependant ce schéma général aux exigences spécifiques de la protection des personnes vulnérables.

Ainsi, « La dimension préventive de la jurisprudence de la Cour impose […] à la charge de l’État des obligations positives dès lors que suffisamment d’éléments permettent de concrétiser la violation virtuelle – car non encore advenue – de la Convention. Toute ingérence passive pourra ainsi être sanctionnée »[63]. Toutefois, pour que le manquement de l’État à son obligation de prévention soit reconnu, la Cour européenne a dégagé des critères précis : existence d’une menace individuelle, réelle et immédiate. Cependant, dans certaines espèces, la Cour impose aux États une obligation positive allant au-delà de la grille de lecture établie: « [n]iant l’imprévisibilité du comportement humain, la Cour a pu retenir la responsabilité de l’État, alors qu’aucune menace réelle n’était identifiable, en se basant sur la personnalité du détenu bénéficiant d’un aménagement de peine. On constate alors que la Cour n’hésite pas à imposer une obligation de diligence et de prévention très étendue »[64]. Cette vision extensive de l’obligation de prévention témoigne de la volonté de la Cour de rendre les droits et libertés concrets et effectifs. Toutefois, si l’obligation générale de prévention concerne toutes les dispositions de la Convention, l’obligation de prévention lorsqu’elle devient ciblée concerne généralement les articles 2 et 3 de la Convention qui relèvent du « noyau dur » des droits de l’Homme. Il apparaît en effet que les droits et libertés reconnus par la Convention ne bénéficient pas tous du même degré de protection.

2. Une obligation positive à géométrie variable

Si les États ont l’obligation de mettre en œuvre les mesures adéquates en cas de risque de violation réel et immédiat, la Cour a également développé une obligation de prévention des violations qui ne sont encore que virtuelles, principalement dans le cadre du contentieux relatif à l’éloignement des étrangers. La Cour de Strasbourg a dégagé une obligation positive de prévention qui veut que l’État partie doit surseoir à éloigner une personne vers son pays d’origine, ou vers tout autre État, si la personne est susceptible d’y subir des traitements contraires à l’article 3 de la Convention, il s’agit d’une protection dite « par ricochet », qui impose aux États de prévenir des risques de violations virtuelles de la Convention pouvant intervenir hors de sa juridiction. Cette technique permet de faire bénéficier les justiciables d’un fort degré de protection et semble parfaitement refléter le souci de rendre les droits et libertés effectifs (a). Cependant, il apparaît que tous les droits ne bénéficient pas du même impératif de prévention alors même qu’il est pourtant question de leur effectivité (b).

a. La prévention de violations virtuelles, gage d’effectivité

Si la Convention européenne ne régit pas « la matière de l’extradition, de l’expulsion et du droit d’asile »[65], toutefois, dans l’exercice de leur « droit de contrôler l’entrée, le séjour et l’éloignement des non-nationaux »[66], les États contractants ont l’obligation de ne pas porter atteinte aux droits garantis par la Convention. Dans son arrêt Soering[67], la Cour a établi qu’« en principe, il n’appartient pas aux organes de la Convention de statuer sur l’existence ou l’absence de violations virtuelles de celle-ci ». Néanmoins, « une dérogation à la règle générale s’impose pourtant si un fugitif allègue que la décision de l’extrader enfreindrait l’article 3 (art. 3) au cas où elle recevrait exécution, en raison des conséquences à en attendre dans le pays de destination ; il y va de l’efficacité de la garantie assurée par ce texte, vu la gravité et le caractère irréparable de la souffrance prétendument risquée » (§90). La responsabilité de l’État qui extrade[68], expulse[69] ou refoule[70] est donc engagée s’il existe des « motifs sérieux et avérés » de penser que le requérant court un « risque réel » de mauvais traitements. La Cour a développé une vision extensive de l’obligation de prévention des violations virtuelles liées à l’article 3 de la Convention dans le cadre des éloignements. Elle retient par exemple la violation de l’article 3 en cas d’expulsion vers un pays où l’intéressé encourt une peine de réclusion à perpétuité incompressible[71] et ce, alors même que la condamnation n’a pas encore été prononcée. De même, la responsabilité de l’État peut être engagée que le pays de destination soit[72], ou non, un État partie à la Convention. Ainsi, lorsqu’ils appliquent le règlement Dublin[73], les États doivent-ils s’assurer que le demandeur d’asile n’encourt pas de risques de mauvais traitements dans l’État partie où il est réadmis, que sa demande d’asile y sera examinée dans le respect des garanties attachées à cette procédure et qu’ainsi l’intéressé ne sera pas expulsé vers son pays d’origine sans un examen effectif de ses risques en cas de retour. La Belgique a ainsi été jugée coupable en raison du transfert d’un demandeur d’asile en Grèce où la Cour a estimé qu’il existait des défaillances systémiques de la procédure d’asile et des conditions d’accueil des demandeurs d’asile[74].

Il s’agit donc pour les États parties d’évaluer le risque de préjudice grave et irréparable encouru par l’intéressé en cas de retour dans son pays d’origine ou d’expulsion vers un autre État. Ce risque peut être lié à la fois au contexte général et à l’histoire personnelle du requérant. Pour évaluer ce risque et prévenir tout éloignement arbitraire, les États contractants se voient dans l’obligation de mettre en place des recours internes effectifs au sens de l’article 13 de la Convention. Cette protection procédurale suppose ainsi que le ressortissant étranger menacé d’expulsion dispose d’un délai suffisant pour introduire un recours et qu’il bénéficie d’un examen attentif et rigoureux, et non uniquement d’un examen de la légalité formelle de la décision[75]. Le recours « doit être disponible en droit comme en pratique, en ce sens particulièrement que son exercice ne doit pas être entravé de manière injustifiée par les actes ou omissions des autorités de l’État défendeur »[76] et doit offrir la possibilité d’un redressement approprié[77]. Enfin, ce recours ne saurait être qualifié d’effectif s’il est dépourvu d’effet suspensif. Dans son arrêt Gebremedhin, qui concernait un demandeur d’asile en zone d’attente, la Cour a considéré que « [c]ompte tenu de l’importance que la Cour attache à l’article 3 de la Convention et de la nature irréversible du dommage susceptible d’être causé en cas de réalisation du risque de torture ou de mauvais traitements, cela vaut évidemment aussi dans le cas où un État partie décide de renvoyer un étranger vers un pays où il y a des motifs sérieux de croire qu’il courrait un risque de cette nature : l’article 13 exige que l’intéressé ait accès à un recours de plein droit suspensif »[78]. Toutefois, si le critère de l’effectivité est conditionné par la suspensivité du recours lorsqu’il est question d’une potentielle violation de l’article 3, il n’en va pas de même en cas d’éventuelle violation de l’article 8, ce qui laisse entrevoir que tous les droits et libertés énoncés dans la Convention ne bénéficient pas de la même exigence de prévention.

b. La prévention de violations virtuelles limitée aux risques de préjudices irréparables

Si recours effectif rime avec recours suspensif lorsqu’il est question d’un risque de violation de l’article 3, il n’en va pas de même quand le risque d’atteinte concerne l’article 8 de la Convention. Il ne s’agit plus dans ce cadre de violations qui pourraient avoir lieu dans le pays de destination mais d’atteintes occasionnées par l’expulsion en elle-même, celle-ci privant l’intéressé de la jouissance des liens privés et familiaux établis dans le pays d’accueil. L’évaluation du risque de violation n’en apparaît donc que plus aisée à réaliser par les États contractants. Pourtant, la Cour n’exige pas le même degré de prévention estimant que les conséquences dans ce domaine ont moins de risque d’être irréversibles. L’arrêt De Souza Ribeiro[79] concerne un ressortissant brésilien placé en centre de rétention administrative. Ce dernier avait saisi le tribunal administratif d’un recours pour contester son éloignement en raison de l’atteinte à sa vie privée et familiale, l’essentiel de ses attaches se trouvant en Guyane. Cependant, avant que le tribunal ne se soit prononcé, le requérant a été éloigné à destination du Brésil. Ainsi, la Cour ne peut-elle que constater « qu’aucun examen judiciaire des demandes du requérant n’a pu avoir lieu, ni au fond ni en référé » (§94). Elle poursuit en indiquant que « si la procédure en référé pouvait en théorie permettre au juge d’examiner les arguments exposés par le requérant ainsi que de prononcer, si nécessaire, la suspension de l’éloignement, toute possibilité à cet égard a été anéantie par le caractère excessivement bref du délai écoulé entre la saisine du tribunal et l’exécution de la décision d’éloignement » (§95). La Cour estime que « si les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation quant à la manière de se conformer aux obligations que leur impose l’article 13 de la Convention, celle-ci ne saurait permettre, comme cela a été le cas dans la présente espèce, de dénier au requérant la possibilité de disposer en pratique des garanties procédurales minimales adéquates visant à le protéger contre une décision d’éloignement arbitraire » (§97). La Cour conclut à une violation de l’article 13 de la Convention combiné avec l’article 8. Toutefois, elle se montre ambigüe exigeant que les personnes bénéficient d’un recours effectif, mais pas nécessairement suspensif[80] lorsque l’article 8 est en jeu. La Cour estime en effet que, dans ce cas, les conséquences d’un éloignement sont généralement réversibles. En concluant de la sorte, la Cour prive les justiciables d’une véritable protection de leur droit au respect de la vie privée et familiale. En effet, l’absence de caractère suspensif peut faire que la personne, comme ce fût le cas dans l’affaire De Souza Ribeiro, n’ait jamais la possibilité de faire valoir ses arguments devant une juridiction et fasse donc l’objet d’un éloignement arbitraire. Ce raisonnement a été, à juste titre, critiqué par le juge Pinto de Albuquerque dans son opinion concordante : « En résumé, il apparaît que le droit international relatif aux droits de l’Homme et le droit international de la migration imposent au moins une double garantie procédurale en ce qui concerne les migrants sans papiers : premièrement, ceux-ci jouissent du droit d’accès aux tribunaux dans le pays hôte pour défendre leurs droits fondamentaux, notamment leur droit au respect de leur vie familiale, et, deuxièmement, ils ont droit à un recours de plein droit suspensif contre tout arrêté d’expulsion, de renvoi, d’éloignement ou contre toute autre mesure similaire lorsqu’ils allèguent qu’une de ces mesures risque de causer un dommage irréversible à leur vie familiale. Le principe fondamental sous-jacent est que l’unité familiale exclut tout intérêt public à l’expulsion, au renvoi, à l’éloignement ou autre, et doit donc être autant que possible préservée »[81].

Dans le même sens, la Cour ne sanctionnera pas l’État partie en cas de renvoi dans un pays où l’intéressé « sera entravé dans son culte religieux »[82] s’il est « seulement » question de l’article 9 de la Convention et que l’entrave n’atteint pas un degré tel que les articles 2 ou 3 risquent d’être violés. En effet, « on ne saurait exiger que l’État contractant qui expulse renvoie l’étranger uniquement vers un pays où les conditions cadrent pleinement et effectivement avec chacune des garanties liées aux droits et libertés consacrés par la Convention »[83]. La frilosité de la Cour dans ce domaine pourrait s’expliquer par le fait que les questions liées au droit des étrangers font partie des compétences régaliennes par excellence dans lesquelles les États contractants apparaissent très désireux de conserver une large marge d’appréciation.

Il s’agit donc pour la Cour dans les affaires relatives à l’éloignement des étrangers de statuer sur des violations virtuelles de la Convention afin de prévenir leur éventuelle survenue. En se prononçant sur la question d’une violation virtuelle de la Convention, la Cour élargit la notion de victime puisqu’il s’agit alors de protéger des victimes potentielles. Toutefois, ce statut de victime potentielle ne trouve à s’appliquer que lorsqu’il est question d’éventuelles violations des articles 2 et 3 de la Convention laissant apparaître que tous les droits et libertés visés par le texte conventionnel ne bénéficient pas du même degré de protection. La dimension préventive sera moindre lorsqu’il est question d’une potentielle violation de l’article 8 de la Convention. Pourtant, il peut bien être question, dans certaines espèces, d’atteinte irréparable au droit au respect de la vie privée et familiale : « La Cour semble exclure du cercle fermé des préjudices irréparables toute situation qui pourrait prendre fin et revenir ensuite à la normale. […] [S]i une famille est séparée, elle pourra toujours être réunie par la suite et vivre d’heureux moments ensemble… On pourrait croire que toute violation à durée déterminée est réparable. Or il semble que tous ces exemples peuvent entraîner des conséquences qui, elles, sont irréparables. Etre séparé de sa famille pendant dix ans nous semble un préjudice irréparable. Personne ne pourra rendre au requérant les années de bonheur perdues. Personne ne pourra non plus lui donner les souvenirs inexistants qu’il aurait néanmoins pu chérir »[84].

La garantie de l’effectivité des droits et libertés reconnus nécessite une intervention étatique étendue afin de prévenir la violation des dispositions de la Convention. On ne peut que rejoindre C. Madelaine, selon qui « l’objet de la prévention a crû de manière considérable, justifiant une intervention de plus en plus tolérée puis souhaitée de l’État. Tout risque d’atteinte à un droit doit tendre à être maîtrisé, qu’il provienne de faits étatiques, de personnes privées ou d’évènements « naturels » »[85]. La Cour européenne fait peser dans certaines espèces un standard sécuritaire extrêmement lourd pour les États au risque de voir se développer une surenchère sécuritaire. En effet, afin d’assumer ce devoir général de protection, les États peuvent être amenés à porter atteinte aux libertés individuelles : liberté d’aller et de venir, liberté de manifester etc. Donnant plein effet au principe de « subsidiarité-complémentarité », la « prévention-effectivité » fait peser sur les États une large responsabilité dans l’application de la Convention. Toutefois, on constate que dans certaines hypothèses, la Cour européenne n’accorde pas le même poids à l’obligation positive de prévention alors même que l’effectivité des droits et libertés est en cause. Cela amène naturellement à s’interroger sur l’objectif du recours à l’obligation positive de prévention qui, s’il participe à renforcer l’effectivité des droits et libertés reconnus, vise également à assurer l’efficacité du système de protection pour en garantir la survie.

II. L’OBLIGATION POSITIVE DE PRÉVENTION DES VIOLATIONS : GARANTIE DE L’EFFICACITÉ DU SYSTÈME DE PROTECTION

Victime de son succès, la Cour européenne a connu au cours des années 2000 un accroissement exponentiel du nombre de requêtes introduites par des particuliers. Craignant même pour la survie du système, elle a dû mettre en place une stratégie juridictionnelle afin de garantir sa pérennité. Lorsque l’échelon étatique n’apparaît pas suffisamment efficace pour garantir le respect des droits reconnus par la Convention, ce qui génère des requêtes en nombre, la Cour européenne s’arroge le rôle d’échelon le plus efficace, laissant ici envisager le principe de subsidiarité sous l’angle de l’efficacité, pour imposer ses solutions aux autorités nationales. Il ne s’agit alors plus d’une intervention complémentaire en cas de défaillance d’un État mais d’une alternative entre intervention étatique et intervention de la Cour selon un critère d’efficacité : « Cette seconde forme de subsidiarité n’use donc plus du critère de la défaillance des États pour déclencher l’intervention du mécanisme européen mais de la meilleure réalisation des objectifs de la Convention qui devient le critère déterminant »[86].

Dans ce cadre, l’obligation positive de prévention ne vise plus uniquement à atteindre l’effectivité des droits mais plutôt à assurer l’efficacité du système, le problème étant qu’efficacité ne rime pas toujours avec effectivité. Ainsi, l’étude du prononcé des mesures provisoires, dispositif de nature préventive par excellence, laisse entrevoir que l’efficacité prime sur l’effectivité (1). Toutefois, les deux objectifs peuvent parfois se rejoindre et donner lieu à un renforcement des garanties accordées aux individus tout en contribuant à la pérennité du système de protection européen, c’est ce que laisse apparaître la stratégie de lutte contre la répétition des violations mise en place par la Cour (2).

1. Quand l’efficacité prime sur l’effectivité

Saisie par un particulier, la Cour peut, en vertu de l’article 39 de son règlement, indiquer des mesures provisoires à tout État partie à la Convention. Ce mécanisme « dont l’objet est sans ambiguïté eu égard à l’aspect préventif »[87] est utilisé par différentes juridictions internationales sous le terme de « mesures provisoires » ou de « mesures conservatoires ». Or, les deux notions ne sont pas superposables : la première est définie comme « une mesure prise pour la durée d’un procès afin de régler momentanément une situation urgente en attendant une décision définitive »[88], quand la seconde renvoie à une « mission de sauvegarde »[89], l’objectif étant de conserver la situation en l’état afin d’éviter qu’un préjudice irréparable n’ait lieu. Toutefois en droit international des droits de l’Homme, les mesures d’urgence réunissent les deux caractéristiques : « elles sont forcément conservatoires, puisqu’elles sont destinées à protéger les droits des parties d’un préjudice irréparable et à maintenir la situation litigieuse en l’état. Mais elles visent également à régler la situation urgente en attendant la décision à venir sur le fond »[90]. Ainsi, les mesures d’urgence visent-elles à sauvegarder les droits ou libertés de l’intéressé, à en prévenir la violation, dans l’attente de la décision de la juridiction internationale sur le fond, en cela, les mesures provisoires œuvrent à atteindre l’objectif d’effectivité que se fixe la Cour de Strasbourg. Toutefois, les mesures d’urgence ont également pour but de préserver l’objet du litige en l’état afin que la décision à venir sur le fond conserve son objet et donc son efficacité. Il s’agit alors de préserver la fonction de juger de la juridiction. L’étude du prononcé des mesures provisoires par la Cour européenne laisse apparaître que cette dernière utilise cette procédure de prévention peut-être plus dans un but d’efficacité lié à la préservation de sa fonction de juger (a) que d’effectivité des droits, l’utilisation des mesures d’urgence pour atteindre pleinement cet objectif restant à améliorer (b).

a. Les mesures provisoires, outil de préservation de la fonction de juger

Les mesures provisoires sont des mesures d’urgence qui, selon la pratique constante de la Cour, ne s’appliquent que lorsqu’il y a un risque imminent de dommage irréparable. Si les mesures provisoires ne sont pas cantonnées au contentieux de l’éloignement des étrangers[91], c’est néanmoins dans ce domaine qu’elles sont le plus souvent prononcées. Elles permettent alors de surseoir à une expulsion lorsqu’un risque de violation d’un droit existe dans le pays de retour. Aucune disposition de la Convention n’a pour objet de définir le cadre juridique des mesures provisoires, si bien que la question de leur caractère obligatoire s’est posée. Dans une décision du 20 mars 1991[92], la Cour a choisi, par une faible majorité, de ne pas reconnaître de caractère obligatoire aux mesures provisoires dans une affaire concernant une famille de ressortissants chiliens expulsés de Suède. Quinze ans plus tard, la Cour a décidé de revenir sur sa position dans l’arrêt Mamatkulov et Askarov[93]. L’affaire concernait deux Ouzbeks, opposants politiques venus se réfugier en Turquie, menacés d’extradition vers leur pays d’origine. Les requérants ont saisi la Cour de Strasbourg d’une demande de mesures provisoires faisant valoir qu’ils étaient menacés en cas de renvoi vers leur pays notamment en raison de leur statut d’opposants politiques. En application de l’article 39 de son règlement, la Cour a fait savoir au gouvernement turc qu’il était préférable de ne pas extrader ces deux personnes avant que la Cour ait pu examiner l’affaire au fond. La Turquie a toutefois décidé de procéder à l’extradition en faisant part à la Cour des garanties obtenues auprès des autorités ouzbèkes. Or, la Cour estime que : « Tout État Partie à la Convention saisi d’une demande de mesures provisoires indiquées en vue d’éviter qu’un préjudice irréparable ne soit causé à la victime de la violation alléguée doit respecter ces mesures et s’abstenir de tout acte ou omission qui porterait préjudice à l’intégrité et à l’effectivité de l’arrêt final » (§93).

Elle conclut à la violation de l’article 34 estimant qu’elle n’a pu « en raison de l’extradition des requérants vers l’Ouzbékistan, examiner leurs griefs de manière appropriée, conformément à sa pratique constante dans des affaires similaires ni, en fin de compte, les protéger en cas de besoin des violations potentielles de la Convention. La conséquence de cet empêchement est que les requérants ont été entravés dans l’exercice effectif de leur droit de recours individuel, garanti par l’article 34 de la Convention, qui a été réduit à néant par leur extradition » (§127). La Cour rattache donc le caractère obligatoire des mesures provisoires à l’article 34 de la Convention relatif au droit de recours individuel : « l’inobservation de mesures provisoires par un État doit être considérée comme empêchant la Cour d’examiner efficacement le grief du requérant et entravant l’exercice efficace de son droit » (§128). Il s’agit alors essentiellement de sauvegarder l’objet du litige en l’état afin que la décision à venir sur le fond conserve son objet et donc son efficacité. La préservation de la fonction de juger de la Cour est le déclencheur principal du prononcé des mesures provisoires et non l’effectivité des droits des intéressés même si ceux-ci s’en trouvent protégés par la même occasion. Nous ne pouvons que rejoindre S. Watthée selon laquelle : « Il semble que la Cour européenne, en liant les mesures provisoires au droit de recours individuel, privilégie la finalité procédurale des mesures provisoires. Il s’agit, semble-t-il, moins de préserver les droits fondamentaux des requérants en tant que tels, eu égard à leur valeur intrinsèque, que de permettre à la Cour européenne de se prononcer sur l’affaire qui lui est soumise, en connaissance de cause et avec effet utile. La protection des droits du requérant se concrétise alors uniquement lorsqu’est également en jeu le bon fonctionnement de la procédure »[94].

D’autres éléments amènent à penser que la Cour européenne tend à privilégier l’efficacité de la procédure, notamment pour ne pas voir son prétoire submergé par les demandes de mesures provisoires[95]. Pour atteindre l’objectif d’effectivité des droits dans ce domaine des améliorations apparaissent nécessaires.

b. Une utilisation perfectible pour tendre à l’effectivité de la prévention

La prévention des violations dans le cadre du contentieux de l’éloignement des étrangers a pu faire voir à certains auteurs l’émergence d’un principe de précaution en droit des étrangers[96]. Il convient toutefois de noter que cette procédure d’urgence souffre de lacunes qui empêchent à l’heure actuelle d’en être pleinement satisfait. Les décisions de la Cour d’octroyer ou non des mesures provisoires souffrent d’un déficit de publicité. Ainsi apprend-on généralement qu’une affaire a fait l’objet d’une demande de mesure provisoire seulement lors de son examen sur le fond. Dans le même ordre d’idée, les décisions relatives aux mesures provisoires ne sont pas motivées, laissant les requérants sans aucune explication quant aux motifs d’octroi ou de refus opposé à leur demande. Il en ressort une absence totale de pédagogie qui ne va nullement dans le sens de la prévention des violations. De plus, la Cour européenne prononce pratiquement toutes ces mesures provisoires dans le cadre du contentieux de l’éloignement des étrangers et, plus précisément, lorsqu’il est question de risques d’atteinte aux articles 2 et 3 de la Convention, laissant de côté les risques de violation de l’article 8 comme relevé précédemment. Enfin, l’introduction d’une demande de mesures provisoires auprès de la Cour européenne n’est aucunement suspensive, dès lors, un dommage, parfois irréversible, peut survenir avant que la Cour ne se prononce. Cette absence de suspensivité peut fortement nuire à la prévention des violations et donc à l’effectivité des droits et libertés reconnus.

Si le recours au principe de précaution est à manier avec prudence, dans certains domaines, à l’instar du contentieux relatif à l’éloignement des étrangers, on ne peut que plaider, avec certains juges de la Cour, pour l’utilisation de ce principe. Il s’agirait d’adopter une approche alternative lesser evil / lesser risk, « moindre mal / moindre risque ». Les conséquences pour l’État, s’il décide de ne pas éloigner, apparaissent comme un moindre mal – tolérer un immigrant irrégulier sur son territoire – que celles pour le requérant s’il est expulsé, ce dernier pouvant ne pas survivre[97].

Il apparaît donc que la Cour a recours aux mesures provisoires lorsqu’il est question de situations dans lesquelles le préjudice subi serait irréversible. Dès lors, la majorité des mesures provisoires prononcées le sont dans le cadre des articles 2 et 3 de la Convention. Toutefois, il s’agit plus de préserver la fonction de juger de la Cour que d’atteindre l’objectif d’effectivité des droits même si celui-ci est atteint de manière indirecte dans ce cas. Pourtant efficacité du système et effectivité des droits semblent conciliables dans ce domaine comme tend à le prouver l’utilisation de la procédure d’urgence par la Cour interaméricaine des droits de l’Homme. Dans un autre domaine lié à la prévention, la Cour de Strasbourg semble être parvenue à concilier les deux objectifs.

2. Quand efficacité rime avec effectivité : la prévention de la répétition des violations

La Cour affirme le caractère subsidiaire du mécanisme européen et le fait qu’il appartient aux États de décider des moyens à mettre en œuvre afin de remédier aux atteintes aux droits et libertés protégés par la Convention, mais, envisageant la subsidiarité sous l’angle de l’efficacité, il apparaît qu’elle s’attache de plus en plus, à mettre l’accent sur certains problèmes récurrents et à donner des orientations aux gouvernements afin que ceux-ci y remédient et préviennent la survenue de nouvelles violations. Ainsi, au-delà du constat de violations de tel ou tel article, trouve-t-on dans certaines décisions de la Cour une incitation, plus ou moins pressante, à procéder à des réformes afin que les atteintes aux droits et libertés ne se reproduisent plus (a). Le prononcé d’arrêts pilotes vise également, pour certains d’entre eux, le même objectif de prévention des violations (b).

a. Une incitation à réformer pour prévenir la répétition des violations

Si la fonction principale de la Cour est de statuer en droit sur les violations alléguées de la Convention, la Cour n’hésite plus sur le fondement des articles 41 et 46 à formuler des recommandations aux États afin que ces derniers mettent en œuvre des mesures visant à éviter que la même violation ne se reproduise. En effet, « si le caractère essentiellement déclaratoire des arrêts de la Cour laisse à l’État le choix des moyens pour effacer les conséquences de la violation, il y a lieu de rappeler en même temps que l’adoption de mesures générales implique pour l’État l’obligation de prévenir, avec diligence, de nouvelles violations semblables à celles constatées dans les arrêts de la Cour »[98].

Ainsi, dans les affaires Abdullah Yaşa et autres et Ataykaya, la Cour conclut-elle respectivement à la violation des articles 3 et 2 du fait de l’utilisation inadéquate de gaz lacrymogènes par les forces de l’ordre et indique au gouvernement au titre de l’article 46 qu’elle « estime nécessaire un renforcement des garanties d’une bonne utilisation des grenades lacrymogènes afin de minimiser les risques de mort et de blessures liés à leur utilisation, par l’adoption d’instruments législatifs et/ou réglementaires plus détaillés »[99]. La Cour souligne que « l’utilisation inappropriée, lors de manifestations, de ces armes potentiellement meurtrières risque, tant que le système turc n’est pas conforme aux exigences de la Convention, d’entraîner des violations similaires à celle de la présente affaire »[100]. En ce qui concerne le fonctionnement de la justice, la Cour européenne a, par exemple, indiqué aux autorités turques, dans l’affaire Altınok[101], qu’un problème structurel existe lié à l’absence de recours effectif pour contester une mise en détention provisoire et demander réparation. La Cour invite la Turquie à se doter d’un recours effectif dans ce domaine afin de prévenir de nouvelles violations liées à cette question. De même, dans l’affaire Gülay Çetin[102], la Cour estime, « après avoir examiné les questions particulières soulevées dans le cas d’espèce », que ces questions « risquent de se poser à nouveau à chaque fois qu’une personne détenue à titre provisoire souffrira d’une maladie présentant un pronostic fatal à court terme ». Dès lors, « afin d’aider l’État défendeur à s’acquitter de ses obligations au titre de l’article 46, elle estime donc devoir indiquer dès maintenant, à titre exceptionnel, les mesures générales qui lui semblent aptes à pallier certains des problèmes constatés quant aux dispositifs procéduraux qui définissent le régime judiciaire instauré en Turquie pour assurer, directement ou indirectement, la protection de la santé et du bien-être des détenus » (§144) et ainsi éviter la répétition de violations de l’article 3.

L’indication par la Cour de mesures à prendre pour mettre en œuvre ses décisions et prévenir ainsi de nouvelles violations n’est plus exceptionnelle. La Cour adopte une démarche très pédagogique indiquant de manière précise aux autorités nationales la marche à suivre pour mettre en œuvre sa décision et éviter de futures violations. Il s’agit ici à la fois de renforcer l’effectivité des droits protégés en prévenant le risque de nouvelles violations tout en assurant la survie du système européen, la lutte contre la répétition des violations permettant d’éviter l’introduction de requêtes répétitives devant la juridiction strasbourgeoise. Le recours au prononcé d’arrêts pilotes vise également à prévenir la répétition de violations lorsqu’un problème structurel existe et s’inscrit dans le même objectif d’effectivité et d’efficacité.

b. La technique des arrêts pilotes pour prévenir la répétition des violations

« L’adoption par la Cour, dans le cadre des arrêts pilotes d’une approche plus intrusive va permettre, via la définition de mesures générales devant être adoptées et mises en œuvre au niveau interne, d’imposer une obligation de prévention de violation »[103]. La procédure des arrêts pilotes peut effectivement paraître intrusive en ce que, recourant à la subsidiarité sous l’angle de l’efficacité, la Cour indique précisément aux États contractants la marche à suivre pour remédier aux problèmes structurels identifiés. La procédure de l’arrêt pilote permet à la fois de lutter contre la répétition des violations et participe donc de la prévention des violations tout autant qu’elle contribue à désencombrer le rôle de la Cour. En effet, lorsqu’un même problème se présente de manière récurrente devant sa juridiction, la Cour, par la procédure de l’arrêt pilote, applique un traitement prioritaire à ce problème structurel afin de limiter le nombre de requêtes répétitives. Elle n’a alors pas seulement pour fonction de se prononcer sur la question de savoir s’il y a eu, ou non, violation d’un des droits ou libertés énoncés par la Convention, mais aussi d’identifier le problème systémique et de donner au gouvernement concerné des indications précises sur les mesures de redressement qu’il doit prendre pour y remédier et prévenir ainsi de nouvelles violations.

Dans l’arrêt Ananyev et autres[104], il était question d’un problème structurel récurrent de conditions de détention inadéquates en Russie : manque flagrant d’espace personnel dans les cellules, pénurie de places de couchage, accès limité à la lumière et à l’air frais, absence d’intimité lors de l’utilisation des sanitaires… La Cour observe avoir conclu à la violation des articles 3 et 13 de la Convention européenne dans plus de 80 arrêts relatifs à cette question depuis 2002 et que plus de 250 affaires similaires sont pendantes devant elle. La Cour demande donc aux autorités russes l’élaboration d’un calendrier contraignant pour l’instauration de mesures préventives et compensatoires applicables aux allégations de violation de l’article 3 de la Convention pour des questions liées aux conditions de détention. La question des mauvaises conditions de détention et de la surpopulation carcérale est récurrente dans d’autres États européens et a donc amené la Cour européenne à prononcer plusieurs arrêts pilotes afin de prévenir la répétition de la violation de l’article 3. La Cour européenne a également eu recours au prononcé d’arrêts pilotes en ce qui concerne la durée anormalement longue des procédures en droit interne. Dans son arrêt-pilote Gazsó[105], la Cour européenne, se référant à son arrêt Sürmeli, insiste sur l’importance de la prévention des violations :

« [L]e meilleur remède dans l’absolu est, comme dans de nombreux domaines, la prévention. Lorsqu’un système judiciaire s’avère défaillant à l’égard de l’exigence découlant de l’article 6 § 1 de la Convention quant au délai raisonnable, un recours permettant de faire accélérer la procédure afin d’empêcher la survenance d’une durée excessive constitue la solution la plus efficace. Un tel recours présente un avantage incontestable par rapport à un recours uniquement indemnitaire car il évite également d’avoir à constater des violations successives pour la même procédure et ne se limite pas à agir a posteriori comme le fait un recours indemnitaire »[106].

Le prononcé d’arrêts pilotes s’inscrit donc dans la démarche de la Cour visant, à la fois, à faire preuve de pédagogie pour orienter les États dans les mesures à prendre mais, également, à leur rappeler que la Cour n’intervient que de manière subsidiaire et qu’il leur revient de prendre toute mesure nécessaire pour éviter la répétition de violations d’ores et déjà sanctionnées par la Cour.

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Par le recours à différentes techniques d’interprétation dynamique, la Cour européenne des droits de l’Homme a dégagé une large obligation positive de prévention des violations à la charge des États. Cette obligation positive de prévention des violations donne un rôle essentiel aux États auxquels il appartient en premier lieu, conformément au principe de subsidiarité, de prendre toutes les mesures nécessaires afin qu’il ne soit pas porté atteinte aux droits et libertés protégés par la Convention. Dans nos sociétés dans lesquelles l’on tend de plus en plus à vouloir se prémunir de tout risque, cette intervention extensive de l’État peut faire craindre une surenchère sécuritaire. Ce constat est particulièrement vrai lorsqu’il s’agit de lutter contre le terrorisme. L’État se doit alors de trouver la juste mesure entre sécurité et liberté, la lutte contre le terrorisme devant se concilier autant que possible avec les libertés individuelles qui fondent nos sociétés démocratiques. La dimension préventive dans le droit de la Convention pourrait être renforcée dans les années à venir lors de l’entrée en vigueur du Protocole additionnel n°16 qui prévoit une nouvelle procédure permettant aux juridictions suprêmes nationales de demander à la Cour d’émettre des avis consultatifs sur des questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application du droit issu de la Convention. Les plus hautes juridictions nationales auront la possibilité de saisir la Cour de Strasbourg d’une demande d’avis portant sur toutes les « questions de principe relatives à l’interprétation ou à l’application des droits et libertés définis par la Convention et ses protocoles ». Les avis émis par la Cour seront consultatifs et donc non contraignants. Il n’en demeure pas moins qu’ils auront un impact certain puisqu’il est peu probable que la juridiction ayant sollicité l’avis ne le suive pas. Dans tous les cas, si cela devait se produire, les justiciables auraient toujours la possibilité d’introduire un recours individuel devant la Cour européenne pour obtenir un arrêt qui, à n’en pas douter, leur serait favorable. Le Protocole n° 16 semble donc ouvrir des perspectives intéressantes pour l’avenir de la Cour européenne des Droits de l’Homme en visant à substituer au « rapport contentieux – donc conflictuel – entre l’État partie et la Cour un rapport de collaboration fondé sur le dialogue entre les juges et institue[r] un mécanisme préventif qui permet aux juridictions nationales de s’assurer auprès de la Cour de la compatibilité avec la Convention des mesures nationales et de remédier en amont à une éventuelle incompatibilité »[107].

Bibliographie indicative

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[1] E. Decaux et S. Touze, La prévention des violations des droits de l’Homme, Actes du colloque des 13 et 14 juin 2013, Pédone, 2015, p. 8.

[2] Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948, entrée en vigueur le 12 janvier 1951.

[3] Convention européenne pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants du 26 novembre 1987, STE n° 126.

[4] À titre d’exemple, article 3 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale, article 20 de la Convention relative à l’esclavage, article 19 de la Convention relative aux droits de l’enfant.

[5] Cour IDH, Velasquez Rodriguez c. Honduras, 29 juillet 1988, Rec. Série C n°4.

[6] S. Touze, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », in E. Decaux et S. Touze, La prévention des violations des droits de l’Homme, op. cit., pp. 19-36, p. 21.

[7] Voir S. Touze, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », op.cit., p. 22. Comité DH, Observation générale n°6 – Article 6 (Droit à la vie), Seizième session, U.N. Doc., HRI/GEN/1/Rev.9 (1982). Comité des DH, Observation générale n°31- La nature de l’obligation juridique imposée aux États parties au Pacte, Quatre-vingtième session, U.N. Doc., HRI/GEN/1/Rev.7 (2004).

[8] CIJ, arrêt du 26 février 2007, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-et-Monténégro), Rec. 2007, p. 43, §430.

[9] S. Touze, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », op.cit., p. 24.

[10] B. Delzangles, « Effectivité, efficacité et efficience dans la jurisprudence de la CEDH » dans V. Champeil-Desplats et D. Lochak (dir.), À la recherche de l’effectivité des droits de l’Homme, Presses Universitaires de Paris 10, Paris, 2008, 266 p., pp. 41-57, p. 41.

[11] CEDH, Loizidou c/ Turquie, 18 décembre 1996, n° 15318/89, §50.

[12] C. Madelaine, La technique des obligations positives en droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme, Dalloz, coll. Nouvelle Bibliothèque de thèses, 2014, 572 p.

[13] CEDH, Affaire « relative à certaines aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c/Belgique, 23 juillet 1968, n° 1474/62, 1677/62, 1691/62, 1769/63, 1994/63 et 2126/64.

[14] CEDH, Lopez-Ostra c/Espagne, 9 décembre 1994, n°16798/90, §51.

[15] CEDH, Airey c/ Royaume-Uni, 9 octobre 1979, n° 6289/73, §24.

[16] Voir T. Van Boven, « Prevention of Human Rights Violations », in A. Eide and J. Helgesen (Eds.), The Future of Human Rights in a Changing World, Essays in Honour of Torkel Opsahl (1991), p. 191.

[17] J.-M. Sauve, « Le principe de subsidiarité et la protection européenne des droits de l’Homme », Recueil Dalloz, 2010, p.1368.

[18] CEDH, Affaire « relative à certaines aspects du régime linguistique de l’enseignement en Belgique » c/Belgique, 23 juillet 1968, précité, §10.

[19] D. Spielmann, « Whither the Margin of Appreciation? », in UCL – Current Legal Problems (CLP) lecture, 20 mars 2014, pp. 11-12.

[20] J. Andriantsimbazovina, « La subsidiarité devant la Cour de justice des Communautés européennes et la Cour européenne des Droits de l’Homme », Revue des affaires européennes, 1998, p. 29.

[21] Voir B. Delzangles, «Variation des relations entre le système européen de protection des droits de l’Homme et les systèmes nationaux : l’inconstance du principe de subsidiarité», in Journées juridiques franco-polonaises. Le jeu des influences croisées du droit français, du droit européen et du droit des autres pays européens, Mare & Martin, Paris, 2013, pp. 147-175.

[22] V. Champeil-Desplats, « Effectivité et droits de l’Homme : approche théorique » in V. Champeil-Desplats et D. Lochak (Dir.), À la recherche de l’effectivité des droits de l’Homme, op.cit., pp.11-26, p.14.

[23] Déclaration de Brighton, 2012, §3.

[24] Ibidem, §7.

[25] Le qualificatif est emprunté à M. Ailincai, « Approche comparée des méthodes non-conventionnelles de prévention des violations des droits de l’Homme » in E. Decaux et S. Touze, La prévention des violations des droits de l’Homme, op. cit., pp. 125-139.

[26] S. Touzé, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », op.cit., p. 26.

[27] M. Ailincai, « Approche comparée des méthodes non-conventionnelles de prévention des violations des droits de l’Homme », op. cit., p. 134.

[28] Recommandation Rec(2004) 5 du Comité des Ministres aux États membres sur la vérification de la compatibilité des projets de loi, des lois en vigueur et des pratiques administratives avec les normes fixées par la Convention européenne des Droits de l’Homme, adoptée le 12 mai 2004.

[29] Déclaration de Brighton, 2012, §9, c) ii.

[30] S. Touzé, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », op.cit., p. 31.

[31] « Il appartient à chaque État contractant de se doter d’un arsenal juridique adéquat et suffisant pour assurer le respect des obligations positives qui lui incombent en vertu de l’article 8 de la Convention », CEDH, Ignaccolo-Zenide c/Roumanie, 25 janvier 2000, n° 31679/96, §108.

[32] CEDH, Craxi c/Italie (n°2), 17 juillet 2003, n° 25337/94.

[33] CEDH, I. c/Finlande, 17 juillet 2008, n° 20511/03.

[34] CEDH, Mehmet Şentürk et Bekir Şentürk, 9 avril 2013, n° 13423/09. L’épouse du requérant, alors enceinte, s’est rendue dans plusieurs établissements hospitaliers où, faute de pouvoir s’acquitter des frais, elle n’a pas été prise en charge. La Cour conclut à la violation de l’article 2 car « [l]e droit interne n’apparaît pas en ce sens avoir été à même de prévenir en l’espèce le défaut de prise en charge médicale que requérait l’état de la défunte » (§96).

[35] CEDH, Boudaïeva et autres c/Russie, 20 mars 2008, n°15339/02, 21166/02, 20058/02, 11673/02 et 15343/02, §135.

[36] Ibidem, §137.

[37] Ibidem.

[38] CEDH, Ciechońska c/Pologne (2), 14 juin 2011, n° 19776/04.

[39] CEDH, Kolyadenko et autres c/Russie, 28 février 2012, n°17423/05, 20534/05, 20678/05, 23263/05, 24283/05 et 35673/05.

[40] Ibidem : « De plus, cet article, lu dans son intégralité, ne vise pas uniquement les situations où l’action ou l’abstension de l’État a entraîné un décès mais également les situations où un requérant a survécu, s’il a clairement existé un risque pour sa vie […]. Il est dès lors essentiel de déterminer dans le cas présent si la vie des requérants a été mise en danger en raison des évènements en cause » (§151) [notre traduction].

[41] CEDH, Giuliani et Gaggio c/Italie, 24 mars 2011, n° 23458/02. Affrontements violents entre militants altermondialistes et forces de l’ordre au cours d’une manifestation.

[42] CEDH, Finogenov et autres c/Russie, 20 décembre 2011, n° 18299/03et 27311/03. Opération de libération d’otages détenus par des terroristes ayant entraîné 125 morts.

[43] CEDH, Ergi c/Turquie, 28 juillet 1998, n°23818/94.

[44] CEDH, Lütfi Demirci et autres c/Turquie, 2 mars 2010, n° 28809/05 ou encore CEDH, Abdullah Yilmaz c/Turquie, 17 juin 2008, n° 21899/02.

[45] CEDH, Keenan c/Royaume-Uni, 3 avril 2001, n° 27229/95.

[46] CEDH, Çoşelav c/Turquie, 9 octobre 2012, n° 1413/07.

[47] Voir J. Marchand, « Prévention et dissuasion dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », RFDA 2014, p.1149.

[48] CEDH, E.S. et autres c/Slovaquie, 15 septembre 2009, n° 8227/04.

[49] CEDH, M.C. c/Bulgarie, 4 décembre 2003, n° 39272/98. « Les obligations positives de l’État sont inhérentes au droit au respect effectif de la vie privée au sens de l’article 8 ; […] une dissuasion effective contre un acte aussi grave que le viol, qui met en jeu des valeurs fondamentales et des aspects essentiels de la vie privée, appelle des dispositions pénales efficaces. Les enfants et autres personnes vulnérables, en particulier, doivent bénéficier d’une protection effective » (§150).

[50] CEDH, Siliadin c/France, 26 juillet 2005, n° 73316/01.

[51] M. Ailincai, « Approche comparée des méthodes non-conventionnelles de prévention des violations des droits de l’Homme », op. cit., p.125.

[52] Ibidem, p.125.

[53] CEDH, Osman c/Royaume-Uni, 28 octobre 1998, n° 87/1997/871/1083.

[54] CEDH, Mastromatteo c/Italie, 24 octobre 2002, n° 37703/97.

[55] CEDH, Maiorano et autres c/Italie, 15 décembre 2009, n° 28634/06.

[56] Ibidem, §67.

[57] Ibidem, §68.

[58] R. Parizot, « Prévention du meurtre : la Cour européenne des droits de l’Homme va-t-elle trop loin ? », D. 2013. 188.

[59] CEDH, Kayak c/Turquie, 10 juillet 2012, n° 60444/08.

[60] Opinion concordante de la juge Tulkens.

[61] CEDH, O’Keeffee c/Irlande, 28 janvier 2014, n° 35810/09.

[62] CEDH, Opuz c/Turquie, 9 juin 2009, n° 33401/02.

[63] J. Marchand, « Prévention et dissuasion dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », op.cit., p.1149.

[64] Ibidem, p. 1151.

[65] CEDH, Lukka c/Royaume-Uni, 16 octobre 1986, n° 12122/86.

[66] CEDH, Vilvarajah et autres c/Royaume-Uni, 30 octobre 1991, n°13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87, §102.

[67] CEDH, Soering c/Royaume-Uni, 7 juillet 1989, n°14038/88.

[68] Ibidem.

[69] CEDH, Cruz Varas et autres c/Suède, 20 mars 1991, n° 15576/89.

[70] CEDH, Vilvarajah et autres c/Royaume-Uni, 30 octobre 1991, n° 13163/87, 13164/87, 13165/87, 13447/87 et 13448/87.

[71] CEDH, Trabelsi c/Belgique, 4 septembre 2014, n°140/10.

[72] CEDH, TI c/Royaume-Uni, 7 mars 2000, n° 43844/98 (décision d’irrecevabilité).

[73] Règlement (UE) n°604/2013 du Parlement européen et du Conseil du 26 juin 2013 établissant les critères et mécanismes de détermination de l’État membre responsable de l’examen d’une demande de protection internationale introduite dans l’un des États membres par un ressortissant de pays tiers ou un apatride (refonte).

[74] CEDH, M.S.S. c/Belgique et Grèce, 21 janvier 2011, n° 30696/09.

[75] CEDH, Jabari c/Turquie, 11 juillet 2000, n° 40035/98.

[76] CEDH, De Souza Ribeiro c/France, 13 décembre 2012, n° 22689/07.

[77] CEDH, Chahal c/Royaume-Uni, 15 novembre 1966, n° 22414/93.

[78] CEDH, Gebremedhin c/France, 26 avril 2007, n° 25389/05, §66.

[79] CEDH, De Souza Ribeiro c/France, 13 décembre 2012, n° 22689/07.

[80] « L’effectivité ne requiert pas que les intéressés disposent d’un recours de plein droit suspensif » (§83).

[81] CEDH, De Souza Ribeiro c/France, 13 décembre 2012, n° 22689/07, opinion concordante du juge Pinto De Albuquerque, à laquelle se rallie le juge Vučinič.

[82] CEDH, Z. et T. c/Royaume-Uni, 28 février 2006, n°27034/05 (décision d’irrecevabilité).

[83] Ibidem.

[84] S. Watthée, Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’Homme : La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, éd. Anthémis, Bruxelles, 2014, p. 215.

[85] C. Madelaine, La technique des obligations positives en droit de la Convention européenne des Droits de l’Homme, op.cit., p.427.

[86] Voir B. Delzangles , « Variation des relations entre le système européen de protection des droits de l’Homme et les systèmes nationaux : l’inconstance du principe de subsidiarité », op.cit.

[87] S. Touzé, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », op.cit., p. 33.

[88] G. Cornu (dir.), Vocabulaire juridique, 6ème éd., Paris, P.U.F., 2004, note 33, p. 577, cité in G. Le Floch, L’urgence devant les juridictions internationales, éd. Pédone, Paris, 2008, p. 24, note 86.

[89] S. Watthée, Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’Homme : La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, op. cit., p. 31.

[90] C. Mitidieri, Les mesures conservatoires dans le système de protection des droits de l’Homme, Atelier national de reproduction des thèses, octobre 2009, p.16, cité in S. Watthée, Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’Homme : La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, op. cit., p.31.

[91] Pour des applications dans d’autres domaines que le contentieux de l’éloignement voir : Evans c/Royaume-Uni, 7 mars 2006, n° 6339/05 (demande faite à l’État de ne pas détruire les embryons issus d’une FIV) ou encore Paladi c/Moldova, 10 mars 2009, n° 39806/05 (traitement médical d’un détenu).

[92] CEDH, Cruz Varas et autres c/Suède, 20 mars 1991, n° 15576/89.

[93] CEDH, Mamatkulov et Askarov c/ Turquie, 4 février 2005, n° 46827/99 et 46951/99.

[94] S. Watthée, Les mesures provisoires devant la Cour européenne des droits de l’Homme : La protection préventive des droits conventionnels en puissance ?, op. cit., p.222.

[95] Voir la Déclaration du Président Costa du 11 février 2011 concernant les demandes de mesures provisoires.

[96] J. Marchand, « Prévention et dissuasion dans la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme », op.cit. : « Grâce au pouvoir d’attraction de la Convention, surgit un principe de précaution en droit des étrangers, sur le fondement duquel la Cour de Strasbourg se réfère au risque virtuel, c’est-à-dire réel quoique non encore concrétisé, d’être soumis à des traitements contraires à l’article 3 de la Convention ».

[97] Opinion dissidente des juges Garlicki et Kalaydjieva suite à CEDH, E.G. c. Royaume-Uni, 31 mai 2011, n° 41178/08.

[98] CEDH, Fabris c/France, 7 février 2013, n° 16574/08, §75.

[99] CEDH, Abdullah Yaşa et autres, 16 juillet 2013, n° 44827/08, §61.

[100] CEDH, Ataykaya c/Turquie, 22 juillet 2014, n° 50275/08, §73. Voir dans le même sens : CEDH, Izci c/Turquie, 23 juillet 2013, n°42606/05.

[101] CEDH, Altınok c/Turquie, 29 novembre 2011, n° 31610/08, §§73-74.

[102] CEDH, Gülay Çetin c/Turquie, 5 mars 2013, n° 44084/10.

[103] S. Touze, « La notion de prévention en droit international des droits de l’Homme », op. cit., p. 33.

[104] CEDH, Ananyev et autres c/Russie, 10 janvier 2012, n° 42525/07 et 60800/08.

[105] CEDH, Gazsó c/Hongrie, 16 juillet 2015, n° 48322/12.

[106] CEDH, Sürmeli c/Allemagne, 8 juin 2006, n°75529/01, §100 ou Gazsó c/Hongrie, 16 juillet 2015, n° 48322/12, §39.

[107] F. Sudre, « La subsidiarité, « nouvelle frontière » de la Cour européenne des droits de l’Homme. Àpropos des Protocoles 15 et 16 à la Convention », JCP-G, n° 42, 2013, p.1916.