La réception de la théorie kelsénienne de l’État dans la doctrine française

Sebastiaan Van Ouwerkerk
 Doctorant, Université Toulouse I Capitole 

Kelsen a développé une approche formelle de l’Etat, conçu comme un ordre juridique qui a la particularité d’être relativement centralisé. Cette théorie spécifique de l’Etat n’est pas parvenue à s’imposer dans la doctrine juridique française pour au moins deux raisons. L’identification même du droit et de l’Etat était inconcevable dans le cadre des approches théoriques proposées par les derniers juristes français ayant associé droit constitutionnel et théorie générale de l’Etat (Duguit, Hauriou et Carré de Malberg). Par ailleurs, le critère de l’Etat proposé par Kelsen n’a cessé d’être contesté par certains juristes français pourtant proches de Kelsen.

Kelsen developed a formal approach of the state, defined as a relative centralized legal order. This specific theory of the state has been globally rejected by French legal scholarship, for at least two reasons. First, even the identification of law and state was unthinkable in the context of the theoretical approaches proposed by the French scholars who were in the same time the first to comment Kelsen’s work on the state and the last to associate constitutional law and general theory of the state (Duguit, Hauriou and Carré de Malberg). Moreover, the problem of the criterion of the state is still discussed by French Kelsenian scholars.

La doctrine juridique française aurait été frappée, d’après B. Plessix, par le « séisme normativiste ». Si un tel séisme il y a eu, il n’a pas concerné la théorie kelsénienne de l’État. Celle-ci n’est pas parvenue à s’imposer dans la doctrine française.

Cette théorie est pourtant originale, et directement déterminée par une théorie du droit et des présupposés épistémologiques spécifiques. Ces derniers sont empruntés au néo-kantisme de l’Ecole de Marbourg, dont l’une des principales thèses est de considérer que l’objet est créé par le sujet, et ne préexiste donc pas à l’observateur. La démarche kelsénienne est donc fondamentalement anti-substantialiste. Elle oriente la théorie pure du droit, qui se présente comme une théorie « structurelle » du droit, vers la dissolution des concepts-substance et la critique des idéologies véhiculées par ces mêmes concepts. L’anti-substantialisme imprègne également la théorie de l’État de Kelsen. C. M. Herrera note que l’étude de l’État chez Kelsen « s’inscrit dans les grands principes épistémologiques de la théorie pure ».

 

L’avis du Comité scientifique

C’est un bel article que nous propose Sebastiaan van Ouwerkerk, qui analyse la réception de la théorie kelsénienne de l’État dans la doctrine française. Les conditions de cette réception n’ont pas été favorables. Les auteurs français de la période dite de « l’âge d’or » du droit public ont seulement évoqué ou utilisé la théorie de l’Etat de Hans Kelsen pour conforter leur démarche positiviste, mais ils ne pouvaient y adhérer en raison de postulats épistémologiques. De même, les disciples français de Kelsen n’ont pas été fidèles à sa théorie de l’Etat en raison, notamment de contradictions qu’ils percevaient dans la définition de l’Etat, ou dans sa relation d’identité au droit. Cette étude apporte un précieux éclairage sur les réticences de la doctrine française à l’égard de cette théorie de l’Etat.

Arnaud HAQUET

Professeur à l’Université de Rouen-Normandie

La théorie de l’État constituera pour le juriste viennois un domaine de choix pour  traquer l’idéologie contenue dans les théories proposées par les grands maîtres de la discipline. Fidèle à ce qui constitue « la matrice épistémologique de sa théorie politique constructiviste », à savoir la critique des concepts-substance, Kelsen ne pouvait que concevoir un « concept relationnel d’État ». Il écrit dès ses Hauptprobleme que « l’État, en tant qu’objet de la connaissance juridique, ne peut être que du droit, parce que connaître ou concevoir juridiquement ne peut signifier rien d’autre que concevoir quelque chose comme du droit ».

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